Tout et rien

Tu as bu, mangé, dormi sans avoir de crainte
Tu n’as jamais eu de grands motifs de plainte
Tu as senti monter tant et tant de désirs 
Tu as aimé et jouis sans avoir à souffrir.

Est-ce cela la vie ? Toujours se satisfaire
Est-ce pour ça la vie, ne pas vivre en enfer ?
N’avoir point d’autre but que la paix de son corps
Avoir vécu toujours pour connaître ce sort ?

Tu as pris, possédé, accumulé sans cesse
Tu as cru tout avoir par ta grande richesse
Tu as vu à tes pieds se prosterner les autres
Et jouis jusqu’à la lie, du luxe où tu te vautres

Est-ce cela la vie ? Toujours plus de pouvoir
Et toujours plus d’avoir et toujours plus de gloire ?
N’avoir point d’autre but qu’être plus fort que l’autre
Vouloir le monde autour, être en fait le vôtre ?

Puis tu as vu le sourire de celui qui n’avait
Qu’une pauvre chasuble, des sandales à ses pieds
Qui regardait le ciel, l’oiseau et les étoiles 
Et qui avait un rêve d’être un vent dans la voile

Pour s’en aller ailleurs ou caresser la feuille
Frôler l’eau du ruisseau ou le cou d’une femme
Pour porter la fraîcheur à cet homme qui cueille
Les fruits qu’il offrira pour le cœur d’une dame.

Puis tu as vu la joie dans le couple qui danse
Dans l’œil de l’homme qui donne lui un bout de pain
À l’enfant qui a faim et rien dans la panse,
Dans ces gens qui partagent, sans attendre demain.

Tu t’es dit de l’amour en ai-je eu ma part ?
Dans tes buts égoïstes, il n’était nulle part.
Tu t’es trop encombré de choses bien trop lourdes
Pour savoir la fraîcheur que contient une gourde,

Dans la légèreté y voir la liberté 
Et des choses infimes en saisir la beauté 
Pour voir dans une main l’amour qu’elle contient
Pour voir dans un regard, l’amour qui te retient.

Une vie sans ces riens, est-ce une vie comblée ?
Une vie sans ces biens, n’est du pain fait de blé.
Tu peux te dire riche et avoir du pouvoir
Sans pour autant ces riens parvenir à avoir.